25 mai 2008

N'importe quoi !


Petit billet pour un petit mot. En Marc 12:24 et 12:27, puis encore en 13:5 et 13:6 il est question d'erreur et de séduction, bref de tout ce qui va « de travers », mais saviez-vous que c'est le même sujet ? Le mot grec c'est πλανασθε qui vient du verbe πλαναω (planao) qui veut dire « égarer, écarter du but ». C'est l'étymologie d'un mot que nous connaissons bien : la planète ! Bizarre, non ? Quoi de plus stable, fixe que notre planète ? Certes, mais pour les Grecs les planètes étaient ces astres qui décrivent le ciel d'une manière inexplicable, contraire à la loi simple qui régit le mouvement (apparent) des étoiles. C'est seulement au début du deuxième siècle qu'un savant d'Alexandrie, Claude Ptolémée, parviendra à établir un système à peu près juste pour la prédiction du mouvement de ces astres (et qui tiendra jusqu'à Kepler). Une planète, c'est donc un astre qui s'écarte du chemin fixé et part dans une direction aberrante (on parlait aussi des astres errants, ce qui nous ramène à l'étymologie de l'erreur !). Bref, on peut aussi bien comprendre que les Sadducéens et les disciples admiratifs du temple se trompent, ou se fourvoient, ou sont dans l'erreur, mais pour rester dans l'idée originale disons … qu'ils déraillent complètement !

22 mai 2008

Qui veut du parfum (2) ?

Maintenant, la réponse de Jésus, essentiellement que le geste de la femme mérite considération, cela même qui nous paraît un peu prétentieux. Voyons donc ça de plus près. En fait, le geste de la femme est qualifié par Jésus (et par l'évangéliste Marc) de « beau » (καλοσ = kalos en grec, iaffe en hébreu) et pas de « bon ». En ouvrant le dictionnaire grec-français on découvre même « beau, noble, généreux ». De même que le vase de parfum est beau à voir, et le parfum lui-même agréable à sentir, le geste insensé, inutile est généreux, il donne du sens et peut durer (ce que ne fait pas le pain distribué).
Ce qui nous ramène aux pauvres, d'ailleurs.
Oui, les démunis n'ont-ils pas aussi droit de rêver, d'avoir un accès au superflu de temps en temps, de parfumer la vie, de sortir de la misère quotidienne et de la survie qu'on leur assure ? Au-delà des besoins matériels n'ont-ils pas des besoins spirituels ?
Si c'est bien la leçon que Jésus voulait nous proposer, il est heureux qu'il ait insisté pour que ce geste soit mémorisé par les générations : donner plus à ceux qui ont moins. Ou, en termes plus mathématiques : donner +∞ à ceux qui ont -∞ …

20 mai 2008

Qui veut du parfum (1) ?

Ah ! Comme il est cher ce parfum ! Quel travail il nous donne, et pourtant il donne une saveur si intense à cet Évangile…

Revenons donc à l'interpellation des disciples : ils font noter qu'on aurait très bien pu consacrer la valeur du parfum à des pauvres, ce en quoi ils ont raison d'un certain point de vue. En effet, selon le livre du Lévitique l'aide aux plus pauvres est une obligation de la loi (par exemple, Lev 25:35 : Si ton frère devient pauvre, et que sa main fléchisse près de toi, tu le soutiendras). La réponse de Jésus s'appuie d'abord sur un texte voisin qui est tout à fait fondamental (à mon sens) aujourd'hui, à savoir Deut 15:11 que je traduis ici littéralement : Il y aura toujours des pauvres dans le pays ; c'est pourquoi je te donne ce commandement: Tu ouvriras ta main à ton frère, à ton affligé et à ton pauvre dans ton pays. Oui, le possessif est bien répété cinq fois, pas moins ! L'assistance, le secours, le partage figurent donc dans les commandements les plus fondamentaux de la Loi que tous les disciples de Jésus respectaient certainement. Plus encore, le verset du Deutéronome insiste sur la relation et pas seulement sur l'assistanat : la personne démunie, en situation de faiblesse ce n'est pas un pauvre mais ton pauvre ! Ton prochain, si ça peut te faire plaisir, et en tous cas une affaire personnelle.

C'est ainsi que les disciples font (ou voudraient faire) exactement ce qui est attendu. Mais pourquoi Jésus les prend-il à contre-pied ? Bientôt, chère lectrice, cher lecteur …

19 mai 2008

Un autre point de vue sur le vase de parfum

Voici ce que m'écrit un correspondant (Gilles G.) :

Si Jésus prend ensuite la défense de la femme (Marie si on va voir dans l'Évangile de Jean ??), c’est pour la bonne et simple raison que les arguments avancés par ses contradicteurs ne tiennent pas. Certes, effectivement l’argent que l’on aurait pu retirer de la vente de ce parfum « inutilement répandu », aurait pu servir aux pauvres. Mais, dit Jésus, quel que soit le niveau de richesse que pourra atteindre l’humanité, les pauvres seront toujours là. La préoccupation de soulager leur souffrance, de leur faire du bien, de donner de ses richesses pour pourvoir à leurs besoins et alléger le poids de leur misère est et restera donc de tout temps d’actualité. La pauvreté permanente qui nous entoure n’est cependant pas une raison suffisante pour condamner tout geste et toute action que le coeur peut faire dans une autre direction. Cela d’autant plus, dit Jésus, si l’objet de ce don a pour cause l’expression ponctuelle de l’amour et de la reconnaissance envers Dieu, comme c’est le cas ici. Il y a des moments en effet qui sont uniques dans notre relation avec Dieu. Des moments où notre amour pour Dieu occupe tellement notre pensée que toute autre cause et considération, aussi juste et légitime soit-elle par ailleurs, ne peut que s’effacer devant elle. Béni soit celui qui ne laisse pas passer ce moment, mais qui, sans réserve et sans contrainte, avec toute la liberté que lui donne l’amour, sacrifie joyeusement tout ce qu’il a ou ce qui est le meilleur pour Lui. Que la révélation chaque jour renouvelée de ce que Tu es, Seigneur, ouvre mon coeur sur des trésors nouveaux de possibilité d’expression d’adoration envers Toi !
Ci-dessous, une représentation de la femme dont il est peut-être question dans ce passage (la tradition considère qu'il s'agit de Marie de Magdala mais ce n'est qu'une hypothèse permettant de se représenter ce personnage) par le peintre flamand Roger Van der Weyden.

En compagnie d'anonymes

Une femme, un homme, un jeune homme ... qui ?

Le chapitre 14 de Marc nous fait croiser des inconnus : UNE FEMME va donner une piste comment comprendre la mort de Jésus : Casser une fiole, verser de l'huile, donner du sens face à l'absurde.

Les disciples vont suivre UN HOMME qui porte une cruche ... Porter de l'eau, servir, indiquer un lieu d'accueil et de fête.

Ce n'est pas forcément ce que nous attendions

Ces personnes connaissent Jésus sans que nous sachions comment. Elles ont une place dans son existence, sans justification, sans titres, sans pédigrée. Elles n'ont pas l'autorité d'un appel à leur appui. Mais ce sont elles qui ouvrent des chemins nouveaux : une femme qui oint, un homme qui sert et accueille.

Les apôtres sont à l'image de la multitude, avec leurs élans et leurs questionnements. À l'approche de la mort, ceux qui ont été appelés vont reculer, se tenir à la marge. Leur comportement ne fait pas autorité. Ce sont des anonymes, une femme, un homme, qui vont ouvrir la voie.

UN JEUNE HOMME va suivre. Il n'est pas un héros, lui non plus. Il va lâcher son drap. Mais il va indiquer que des inconnus vont se joindre à Jésus. Qu'ils vont le suivre à la trace.

Ce chapitre de Marc indique un chamboulement : Là où il semble mener inexorablement à la mort, il nous rend un avant-goût de vie nouvelle. Le message de Jésus s'incarne dans des inconnus qui lui donnent corps et vie.

17 mai 2008

Prier comme un acte de résistance (1)

Le pasteur Jean-Pierre Nizet ayant aimablement accepté de nous faire bénéficier de sa prédication du dimanche 13 avril 2008 sur Marc 1, v.14 à 38, nous vous la proposons en deux billets (qu'il vous appartiendra de séparer par un moment musical approprié).


Je voudrais avec vous creuser le premier chapitre de l’évangile de Marc, revivre cette première journée du ministère public de Jésus afin de souligner pour chacun d’entre nous la nécessité de vivre le temps de l’écart et du questionnement sur notre présence au monde.

Penser la prière comme le temps d’un déplacement indispensable, non pour se soustraire au monde mais au contraire pour s’y engager, renouvelé.
« Aussitôt Jésus appela Simon et André, Jacques et Jean…
Aussitôt ils abandonnèrent leurs filets…
Ils pénètrent dans Capharnaüm, le jour du sabbat, aussitôt Jésus entre dans la synagogue et enseigne.
Aussitôt se tient là un homme possédé par un esprit. Jésus le guérit.
Aussitôt, la renommée de Jésus se répand dans la région de Galilée.
Sortant de la synagogue, aussitôt il allèrent dans la maison de Simon et d’André, aussitôt on parle de la belle-mère de Simon à Jésus : il la guérit.
Et le soir venu, il guérit d’autres malades. »

Aussitôt, aussitôt, aussitôt: onze fois l’adverbe grec est utilisé dans ce premier chapitre. Marc nous fait entendre l’urgence d’une proclamation en actes et en paroles. Tout le chapitre est quasiment contenu dans une journée. Cette indication temporelle renforce encore cette notion d’urgence.
Tout se précipite…
Le temps et l’espace, dès ce premier jour, semblent saturés. Et même si Jésus est la plupart du temps sujet de ces « aussitôt », il est comme débordé, submergé…
Submergé par ces demandes incessantes et totalisantes : « la Galilée entière »,« toute la ville », « tous les malades » …
Il est demandé à Jésus de tout comprendre, de tout guérir, de tout maîtriser.

Marc parle peu de la tentation mais nous savons que céder à la tentation, c’est précisément dans l’évangile, échapper aux limites humaines. Jésus, dès le premier jour de son ministère, est comme encerclé par la tentation de la toute puissance.

Dans le même sens, Jésus doit faire face à des confessions de foi bruyantes. Je dis « faire face » car ces confessions de fois prématurées dénaturent le projet de Dieu où seul doit parler le silence de la croix et du tombeau vide.
Comme le dit ma collègue Françoise Pujol, qui commentait ce texte, ces confessions de foi rendent Dieu absent par trop de présence.


Nous comprenons alors les consignes de silence de Jésus. « Sois muselé », « tais-toi », « ne dis rien à personne »… Nous comprenons aussi la nécessité pour Jésus d’un déplacement, d’un éloignement. « Au matin, à la nuit noire, Jésus se leva, sortit et s’en alla dans un lieu désert et là, il priait. »

À la suite des dérives du premier jour, Jésus va se déplacer, se décaler physiquement pour prier. Marc écrit avec concision : « Là, il priait ». En grec, le verbe prier se dit toujours à la forme passive. Prier ne serait pas demander mais se laisser accueillir.
« Ouvre ta bouche et je l’emplirai » dit le psalmiste (Psaume 81).
Le verbe à l’imparfait contient l’idée d’une durée. Loin du temps des saccades, des accélérations, des « aussitôt », loin des mouvements tourmentés, « là, il priait ».
La prière est ici un acte de résistance car il faut de la force pour se lever le matin à la nuit noire, pour sortir, marcher vers un lieu désert, s’écarter.
Arrachement de Jésus et acharnement à le retrouver.
Jésus est comme rattrapé par l’emballement contagieux de la foule.
Le verbe qu’utilise Marc est un « hapax » (mot dont on ne peut relever qu’un exemple à une époque donnée). Littéralement, Simon et les autres poursuivent Jésus. Jésus est littéralement poursuivi, poursuivi par ce « tous te cherchent ».

C’est alors que Jésus fait cette réponse, une réponse qui prend peut-être sa source dans la prière même qu’il vient de vivre : « Allons ailleurs ».

16 mai 2008

Prier comme acte de résistance (2)

Jean-Sébastien Bach en 1735, à la demande d’un de ses proches, a écrit un livre sur sa famille, où il fait le récit de la vie de son ancêtre Veit Bach. C’était un luthérien qui vivait en Hongrie au XVI°s, parti de son pays pour vivre sa foi en Allemagne en Thuringe, berceau de la Réforme.
Meunier, il avait vendu tous ses biens en Hongrie, et il racheta un moulin en Thuringe. Tandis que les meules broyaient le grain, il jouait de la cithare. Et Jean-Sébastien Bach conclut ce récit en écrivant : « Au moins, mon ancêtre a appris le sens de la mesure ».

Frères et sœurs, nous sommes tous écrasés par le poids des soucis, l’usure de la vie, broyés par la meule de nos angoisses, des difficultés de l’existence. Alors pour garder la mesure dans nos cœurs désordonnés où s’accrochent tant d’émotions, pour permettre aux sédiments de l’être de se reposer loin de l’agitation, pour s’ouvrir à la présence de Dieu, il nous faut en quelque sorte une cithare, la cithare de Veit Bach est ici la figure même de la prière.

Une prière qui ne sert à rien si on se place sous l‘angle de la productivité, sous l‘angle du rendement, sous l’angle de la meule qui écrase. Poser la question à quoi sert la prière revient à demander à quoi sert la musique. Pour Veit Bach, la cithare vibrait à l’essentiel.

Reprenant ce qui a été dit depuis l’évangile de Marc, la prière, c’est aussi ce questionnement sur ma présence au monde, ce travail du silence où j’entends le projet de Dieu pour moi, c’est le lieu privilégié d’une rencontre où je suis appelé à me déplacer ailleurs, à poser des actes, à porter des paroles, à assumer des responsabilités dans ce monde.

Oui, dans ce monde de plus en plus confus où prolifère le rien, où la laideur s’étale partout, où la violence se démultiplie, où nous sommes soi-disant tous connectés mais où dans le même temps, nous assistons à la disparition du principe de « la prééminence de l’autre », dans ce monde où fuir semble être une réponse, et, désespérer, une tentation, la prière est une nécessité vitale…

« Au matin de la nuit noire, Jésus se leva, sortit et s’en alla dans un lieu désert et là, il priait ».

Risquons-nous à un dernier commentaire. Marc précise : Jésus se lève au matin, à la nuit noire. Cette indication de temps rappelle étrangement le récit de la résurrection où les femmes se lèvent elles aussi au matin, à la nuit noire, à la recherche du corps de Jésus. Marc dont l’évangile est le plus architecturé, en rapprochant ces deux récits, a certainement une intention théologique.

Peut-être veut-il nous dire que « Prier » c’est se situer dans un mouvement, une dynamique de résurrection. « Prier » n’a jamais été « fuir » ou « déserter » le monde, mais puiser dans le silence le courage d’être. Prier c’est reconnaître en Christ, « Le Vivant », une force d’arrachement à la nuit de ce monde et une force d’engagement, de proclamation et d’espérance.

Amen.

14 mai 2008

Le vase de parfum

Chers amis,
Je me suis "motivé" pour vous faire un nouveau billet, après tout ce temps où je m'occupais de bien autre chose ; cependant, la lecture de Marc 14 dans notre groupe fut si vive que je ne résiste pas à l'envie de vous la faire un peu partager. Et, pour l'instant, des questions et rien que des questions.

  • Pourquoi Jésus vient-il dans la maison de « Simon le lépreux », personnage dont on ne nous dit rien si ce n'est qu'il est ou a été lépreux ? Pourquoi marc tient-il à nous le faire savoir ?
  • Pourquoi cette femme achète-t-elle un parfum coûteux (le nard dont il est question est extrait d'une plante qui pousse dans l'Himalaya paraît-il) ?
  • Pourquoi casse-t-elle le vase ? n'aurait-il pas été plus simple de verser le parfum après avoir ôté le bouchon ?
  • Pourquoi Jésus évoque-t-il son futur embaumement alors qu'il va ressusciter (Marc le sait, et pour cause) ?
Face à tant de bizarreries, les remarques fusent :
  • le lépreux, a-t-il été guéri ?
  • cette femme avec son parfum insensé, serait-elle une prostituée reconvertie dans les bonnes œuvres ?
  • l'attitude de Jésus me choque ! C'est d'un prétentieux !!
  • ça devait sentir la cocotte ...
  • ils se lavaient ces gens-la ?
Suite au prochain message !