01 mars 2007

À propos d'Hérode : la signature de l'évangéliste

Il est habituel de considérer les trois Évangiles dits «synoptiques» (Matthieu, Marc et Luc) comme trois expressions différentes d'une même histoire dont la «vérité» se dissimulerait dans les coïncidences entre deux, voire trois de ces écrits, les discordances étant attribuées à la différence d'audience, chacun des évangélistes s'adressant à un public un peu différent. Ce point de vue schématique est en partie vrai mais tend à faire disparaitre la personnalité de l'évangéliste à l'arrière-plan ; en somme, l'auteur dissimulé derrière son œuvre.


Dans le chapitre 6 de Marc nous trouvons cette étonnante histoire de la mort (également dite «décollation») de Jean-Baptiste, que nous pouvons confronter avec les versions de Matthieu et Luc. On sent bien, d'après les diverses interprétations de cette scène que les peintres en ont données, que le récit se met à « bifurquer » en ce point. Le tableau de Gozzoli (peint en 1461) que vous voyez ci-dessus suit de près le récit de Matthieu 14:6-8, où Hérode est dépeint comme un tétrarque cruel pour lequel un serment, même imprudent, a une valeur supérieure à la vie humaine. Ce récit (lisez-le !) établit une nette connexion entre les disciples de Jean et ceux de Jésus.

Rien à voir avec ce que nous montre le Caravage dans ce tableau peint en 1608 et qui nous fait entrer dans la prison où le Baptiste est enchainé (Marc 6:17 et 28). Les deux témoins silencieux permettent de représenter les disciples de Jean sur lesquels Marc laisse planer l'ambiguïté (lire Marc 6:14-16). Aucune théâtralité ici, le récit se suffit à lui-même.
Les récits de Marc et de Luc laissent donc le lecteur dans le doute, le rôle de Jean-Baptiste étant plus une question qu'une affirmation ; c'est sans doute pourquoi les siècles se sont chargés de développer l'imaginaire sur ce récit, en s'appuyant sur d'autres sources historiques. La danse de la fille d'Hérodiade (Salomé d'après l'historien Flavius Josèphe) devient alors un prétexte à la figuration du festin monstrueux par Rubens, ci-dessous.

En fin de compte, c'est notre regard sur la scène qui fait la différence. Comme le petit garçon que Rubens met au premier plan, nous lisons, cherchons à comprendre mais une part nous échappe : que nous apprend cet épisode sur la mission de Jésus ? Pas grand chose, assurément. Peut-être apprenons-nous que, pour Marc, la mission de Jean-Baptiste s'achève plus ou moins sur un échec, au moment même où celle de Jésus prend de l'ampleur.
Ce qui est certain, en revanche, c'est que nous apprenons ici que Matthieu, Marc et Luc ne sont pas interchangeables : pour l'un Hérode est un fourbe, pour l'autre un indécis et pour le troisième un sage doublé d'un faible. Chaque évangéliste a pris soin de « signer » ainsi son texte, afin que nous le recevions comme tel, à la fois historiquement fondé et déjà interprété.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Une réflexion sur le pouvoir : entre le pouvoir et le serment ... des relations pour le moins troubles ! Le piège du serment, de la loi, une fidélité ambiguë : en quelque sorte, cette histoire c'est le livre d'Esther à l'envers !