13 novembre 2007

Des manteaux et des peaux

Quand Jésus est interpelé pour guérir un lépreux (Marc 1, 40), c'est de sa peau qu'il s'agit. Elle était blessée. Guérir veut dire alors : ce qui protège l'être humain, est à nouveau rendu intact et permet l'échange avec l'extérieur.

Quand Jésus chasse l'esprit du possédé de Gérasa (Marc 5, 15), celui-ci est aperçu par les habitants de la région «étant habillé». Une nouvelle contenance l'enveloppe. Il peut adresser la parole aux autres, ainsi protégé.

Les deux personnes guéries sont renvoyées chez eux, sans ménagement. Nous avons assisté au moment décisif où Jésus les redonne à leur vie quotidienne.

Ce qui se passe à partir du chapitre 10 dans l'évangile de Marc, est d'une toute autre nature : Nous assistons à une dépossession. Jésus avait auparavant annoncé, par trois reprises, sa mort ; et la direction suivie est sans ambigüité : il sera dépouillé de sa vie. ... on assiste à une dépossession des enveloppes et protections de ceux qui le suivaient :

Timée, aveugle assis au bord du chemin, rejettera son manteau pour s'approcher de lui ; il est le premier parmi les personnes rétablies par Jésus à le suivre.

Les disciples qui vont aller chercher l'ânon pour entrer à Jérusalem, déposeront leur manteaux sur son dos.

La foule de la ville posera des manteaux par terre à l'entrée de Jésus dans la ville.

Après l'arrestation de Jésus, il reste un jeune homme « n'ayant qu'un drap sur le corps » traduit la tradition. « Une fine étoffe » comme seul vêtement, indique le texte. Les manteaux étant tombés, il ne reste plus qu'une seule couche. En dessous, l'humanité sans protection, nue.

Le jeune homme s'échappe. C'est Jésus qui est amené vers la mort.

12 novembre 2007

10 novembre 2007

Les deux figuiers

Il y a deux évocations du figuier dans l'Évangile de Marc, l'une en Marc 11 et l'autre en Marc 13. Il semble difficile de lire l'histoire du « figuier desséché » en suivant le sens propre tant il semble absurde de vouloir trouver des figues hors saison et de maudire l'arbre pour cette raison (clin d'oeil cependant : nous trouvons aujourd'hui sur les étals quantité de fruits et de légumes hors saison ...). C'est tellement absurde qu'il faut bien convenir que Marc, à nouveau, « brouille les pistes » comme il vient de le faire avec l'épisode dit des rameaux pour nous dissuader de voir en Jésus un authentique roi pour le peuple entier. Voici deux pistes de lecture.

Première lecture : la tradition prophétique
Références : par exemple, Jérémie 5:17, Joël 1:7 etc.
C'est le thème du figuier désseché, mort, qui devient une annonce de déportations, exil, malheurs. Selon cette idée, Jésus annonce que tout ce qui constitue l'environnement usuel sera balayé, comme nous l'indique aussi (un peu plus loin) la « montagne renversée dans la mer » ; rien ne subsistera, ni culture ni temple ni même la population, rien d'autre ne peut tenir que la justice (évoquée à propos des changeurs de monnaie devant le Temple), la foi et la prière (évoquées à propos de la montagne) et le baptême (fin du chapitre 11). Cette « piqure de rappel » vient à point nommé pour nous rappeler que si nous (lecteurs) identifions un peu trop vite Jésus comme « fils », nous risquons d'oublier son rôle prophétique. Et un prophète, par nature, ne respecte pas l'ordre établi, il aime crier les « vérités qui dérangent » ! Reste le détail relatif à la saison, d'où la ...

Deuxième lecture : la filiation édenique
Références : par exemple, Genèse 1:28, Michée 4:4 etc.
Le figuier est évidemment l'un des arbres du Jardin d'Eden, où il représente la fructification perpétuelle (sans parler des feuilles qui peuvent avoir un autre usage), et renvoie au commandement « croissez et multipliez » que l'on n'interprétera pas seulement au plan démographique mais aussi aux plans de la sagesse, de l'étude et de la foi. C'est là que l'anecdote sur la saison prend sa valeur : Jésus reproche au figuier de ne fructifier qu'à date fixe, c'est-à-dire il reproche au peuple de ne prier (sacrifier) qu'à dates fixes - les fêtes de pélerinage, à savoir Pessah (Pâque), Shavouot (Pentecôte) et Souccot (Tabernacles).
Le modèle de la relation à Dieu que Jésus propose apparaît juste après, c'est la prière directe et à tout moment. Et on prie comme il est d'usage depuis Abraham : debout.

Finalement, aucune de ces deux lectures ne parvient à s'imposer. Marc, avec toute la finesse que nous lui connaissons, développe un portrait complexe de Jésus dont aucune facette ne gomme les autres. Respectons cette diversité et savourons le texte, encore ...

07 novembre 2007

Hosanna

[ Reprise d'un billet publié dans notre petit journal, Pâques 2007 ]
Alleluia ! Tous derrière Jésus ! Votez pour la simplicité ! La fraternité au pouvoir ! Dans cent jours l'Esprit nous gouvernera ! Hosanna !...
N'était-il pas temps que le peuple se réveille, et prenne son destin en main ? Ne fallait-il pas que le micro-projet de Jésus et de ses disciples change de dimension, que son message si nouveau soit répandu le plus largement possible ? Ah, il ne manquait pas d'allure cet épisode dit "des Rameaux"... Mais dites-moi, cet enthousiasme du peuple, cette euphorie, cet universalisme est-ce bien le seul message ? Jésus est-il vraiment un roi marchant vers le pouvoir au pas de son âne, bercé de palmes ? Est-ce la couronne de lauriers ou la couronne d'épines que vous attendiez ?
Revenons à Marc 11... où sont les rameaux déjà ? où est le peuple, où sont les disciples ? et finalement, ne pourrait-on dire que Marc nous «cache» des infos pour mieux nous guider vers la personne de Jésus ? Car au fond qui est-il en ce point du récit ? Un illuminé ou un prophète, un sage ou un gourou, un chef de tribu ou un leader politique ? Et ce peuple, est-il une nombreuse foule ou bien une toute petite troupe qui fait du bruit pour se donner du courage ? Et les disciples, sont-ils dans le peuple ou bien opposés au peuple ? Est-il bon d'en décider tout de suite ?

21 octobre 2007

Palindromes


Si nous repassons la fin du chapitre 9 et le début du 10, il saute aux yeux que certaines questions sont traitées deux fois... pourquoi donc ? Voyez un peu :
(A) 9:30 l'annonce de la Passion
(B) 9:33 qui est le plus grand ?
(C) 9:37 comme un petit enfant
(D) 9:38 amis et ennemis
(E) 9:43 occasions de chute
(E) 10: 2 adultères = occasions de chute
(C) 10:13 comme un petit enfant
(F) 10:17 l'homme riche
(B) 10:31 premiers et derniers
(A) 10:32 l'annonce de la Passion
(B) 10:35 qui est le plus grand ?

A peu de choses près, le début du chapitre 10 reprend les thèmes du chapitre 9 en les inversant. En assemblant ainsi les idées, c'est le milieu qui se trouve mis en valeur... l'histoire de l'homme riche tout particulièrement. C'est ici que tout le message se concentre : à chacun de le lire à son idée !

PS. Un palindrome est un mot qui peut se lire à l'envers, comme "SELLES".

07 octobre 2007

Compétition

Bonjour à tous ! Nous revoici après la pause de l'été, remotivés par le « samedi théologique » du Centre Hâ 32 avec Patrice Rollin. En ce bon mois d'octobre nous sommes tous plus ou moins en train de lire Marc 10, aussi permettez-moi de faire un bref retour sur le dernier chapitre avant de progresser.
En Marc 9 nous avons cette curieuse « discussion » des disciples qui se demandent « qui est le plus grand ». J'ai failli imaginer leur discussion (dispute ?) jusqu'au moment où je suis allé voir le texte de près. Le verbe que Marc met dans la bouche de Jésus (dialogizomai) est en lien avec nos mots de logique, logistique, etc., et il signifie au sens propre « calculer » et seulement au sens figuré « discuter » (tandis que le second verbe, dialegomai, signifie vraiment discuter). Gardons le sens propre pour voir où cela nous mène… les disciples sont en train de compter les mérites des uns et des autres, il font des additions pour voir qui a le plus fort total ! Eh bien je crois que c'est cela que Jésus remet en cause comme dans le dialogue avec l'homme riche (chapitre 10) : vous pouvez tenter de thésauriser des biens ou des mérites, ça ne vous avancera à rien sur le chemin que Jésus trace…

31 mai 2007

Laissez venir à moi les petits enfants

Entre Marc 9 et Marc 10 nous voyons apparaitre un nouvel acteur, l'enfant. À vrai dire, il est déjà apparu mais comme objet et toujours en lien avec la maladie ou la mort, tandis qu'à présent il devient un sujet voire un modèle. Ainsi, dans ce tableau que Lucas Cranach le jeune peignit vers 1540 en pleine période réformatrice.

Et pour vous ... ? l'enfant est-il au centre de votre foi ?
Et plus loin, une question encore plus fondamentale ... qu'est-ce qu'un enfant ?
Ce n'est pas une interrogation purement théorique, elle sous-tend non seulement l'éducation mais aussi la transmission de la foi. Pour faire court, disons qu'ici se rencontrent quatre modèles de l'enfance :

  • le modèle gréco-romain : l'enfant est celui qui ne parle pas (in-fans), on va lui inculquer tout ce qui est nécessaire pour participer à la vie sociale, le dresser en quelque sorte (educare = conduire vers). C'est aussi la péda-gogie.
  • le modèle sémitique : l'enfant est la promesse de la filiation par le sang (Abraham).
  • le modèle mosaïque, transmission de la loi et de la foi dans le cadre familial « tu le raconteras à tes enfants » (Deutéronome 4:9) .
  • le modèle chrétien : l'enfant n'est plus seulement la matérialisation de la promesse ; il résume la promesse, la foi et la loi.

11 mai 2007

Scandale !

Qu'est-ce que cette histoire de scandale, de chute ? Pour nous le verbe « scandaliser » a un sens très clair, il est synonime de « choquer ». En réalité c'est l'un des mots de notre langue qui viennent directement de l'Évangile. En grec, le mot « skandalon » désigne un piège (sans doute une branche courbée) qu'on dissimule sous un chemin ou une route pour faire chuter l'adversaire, ce que certains traducteurs rendent par « chute », « occasion de chute » (voyez la parabole du Semeur et les Psaumes 65 et 140). Les évangélistes Marc et/ou Matthieu ont alors créé le verbe σκανδαλιζω pour dire « être une occasion de chute », ce qui est devenu le moderne « scandaliser ». Le verbe est passé au latin par la traduction latine de Jérôme, puis au français.
La notion de réprobation sociale associée au scandale demeure tout à fait éloignée du message évangélique qui s'occupe uniquement de vie et de résurrection ; dans cette perspective, chute et péché reviennent au même, c'est l'éloignement de Dieu.
Clin d'œil publicitaire pour finir : ce qui crée le scandale ce n'est pas la situation elle-même c'est l'ombre projetée par elle …

06 mai 2007

Satan et les anges, seraient-ils parmi nous ?
Quand le dess(e)in de Dieu se concrétise


Dans un tissage, certains fils semblent disparaître pendant un certain temps ; le fait qu'ils deviennent invisibles à l'œil ne veut cependant pas dire qu'ils n'existent plus. Souvent ce sont eux qui portent, en tant que chaîne, le fil visible qui montre le dessin du tissage.
Le chapitre 8/9 de l'évangile de Marc fait réapparaître des thèmes qui semblaient enfouis :

Au premier chapitre, l'apparition de Satan est quelque peu irréelle pour le lecteur. Il s'impose de lui-même. On ne sait pas d'où il vient, où il va. Est-il un personnage que certains d'entre nous rencontreront pour de bon ? C'est tout le contraire du chapitre 8, où il est démasqué par Jésus. Arrivé incognito dans une parole concrète, il s'est manifesté à travers un compagnon de Jésus ; il est parmi ses plus proches.

Les anges non plus, ils n'étaient plus sur scène depuis la tentation au désert ; et le désert, c'est un lieu si lointain que personne d'entre nous n'y risque poser son pied. Maintenant, leur venue est annoncée "face aux gens d'aujourd'hui" ou "dans cette génération " (8,38), parmi nous.

Ce rapprochement du récit devient encore plus palpable dans une toute petite variation : Dans 9, 7 la voix dit : « Celui-ci est mon fils bien-aimé. Ecoutez-le ! » La relation d'intimité avec le père est ré-invoquée, comme dans le baptême, mais avec une nouvelle exigence pour l'auditoire.

04 mai 2007

Ascensions

Pourquoi découvre-t-on les personnages d'Élie et Moïse dans la scène de la transfiguration ? La meilleure réponse se trouve dans les textes eux-mêmes. Concernant Élie c'est dans II Rois 2, et pour Moïse c'est dans Deutéronome 34. La fin du livre de Malachie résonne aussi avec ce texte, lisez-la. Tant qu'à faire, puisque c'est bientôt, nous pouvons nous interroger sur l'Ascension ; les traces sont maigres, lisez la fin de l'Évangile de Luc et le début du livre des Actes c'est à peu près tout. Quel point commun entre toutes ces situations ? Pas de tombeau ! Aucun culte !
Alors, pour illustrer ce petit billet, quoi de mieux qu'un grand bol d'oxygène ?



25 avril 2007

Quand le fou montre la lune...


… l'imbécile montre le doigt (proverbe chinois). Dans cette scène presque tout le monde, avec de notables exceptions, semble vouloir montrer quelque chose ou quelqu'un. Ces doigts peuvent à leur tour montrer, questionner, accuser
… mais qu'y a-t-il à voir? et quel est l'objet du débat ?
Sans prendre de risque théologique particulier, nous pouvons affirmer qu'il est ici question de la résurrection qui suscite de grandes disputes (voyez 9:10). Alors rappelons-nous que « relever » et « ressusciter » sont quasiment le même verbe en grec. Est-ce que c'est plus clair ainsi ? Non ? Eh bien ! priez d'abord et revenons-y ensuite.

22 avril 2007

La transfiguration : tout un programme

Après avoir abondamment navigué sur terre et sur mer (enfin, sur le lac), nous touchons au Ciel.
Pour aborder ce passage central et dense, une fois de plus un coup d'œil sur un œuvre d'art nous rendra de fieffés services. Nous n'avons guère le choix, mais la pêche s'avère miraculeuse … la voici ! (cliquez sur l'image pour agrandir, et sur "retour arrière" pour revenir au blog)


Ce tableau fut peint par Raphaël en 1517, et c'est la dernière œuvre du génial peintre qu'il n'a même pas eu le temps de finir. Je ne vous en livre pas maintenant toutes les clés, regardez plutôt de près par vous-mêmes.
Une indication pour commencer : suivez les regards et demandez-vous où ils aboutissent.
Une question pour continuer : quand vous avez lu le chapitre 9, à votre avis l'enfant convulsif était-il debout ou couché ?
Une observation pour finir : c'est le père qui soutient l'enfant.

10 avril 2007

À la fin du parcours ...

Il faudra bien se retrouver à l'auberge !
Nous vous proposons de retenir dès maintenant la date du

dimanche 24 juin 2007

pour une journée de mise en commun, d'approfondissement et de projets. Nous commencerons par animer un culte à 10h30 au Temple de Mérignac : le choix des textes, des chants, des prières nous incombera pour cette fois-la ! Tous les participants seront invités à se joindre à l'équipe de préparation de ce culte qui nous permettra à tous, protestants ou non, d'aller plus loin dans la compréhension de l'Évangile sans oublier de dire merci pour la richesse du parcours que nous suivons. Puis, à 12h15, un repas partagé (chacun apporte un plan ou une boisson voire plus) au cours duquel les récits, les témoignages seront échangés ; et pendant l'après-midi se suivront un temps pour faire un peu de théologie et un temps pour les projets de l'année prochaine.

Grâce et bénédiction : tout un programme !

Dans ce petit billet pascal je souhaite attirer votre attention sur deux mots particuliers du texte de Marc 8:6-7 (vous les avez dans le titre, en fait). Ces deux mots sont des verbes (en grec : ευχαριστεω et ευλογεω) qui signifient respectivement rendre grâces ou remercier, et bénir. Vous pouvez « visualiser » ces deux actions dans les deux mains du Christ du tableau du Lombard (voyez le billet du pique-nique).


Vos traductions ne respectent pas toujours le détail du texte, certaines mettent deux fois « après avoir rendu grâces ». En fait, Marc ne néglige rien pour nous amener vers l'épisode central de la Cène (14:22-23) où il emploie les mêmes verbes avec une petite inversion puisque Jésus bénit le pain et rend grâces pour le vin.

Il me semble important de distinguer ces deux actions : rendre grâces s'adresse à Dieu, bénir s'adresse aux hommes.

Petit détail pour finir : le verbe grec pour « rendre grâces » a donné le mot français « eucharistie » ; il apparaît à cet endroit précis dans le texte que nous suivons pas à pas.

05 avril 2007

Jésus et la politique ?

Jésus qui refuse de s'occuper de la femme étrangère (la syro-phénicienne), mais y consent en écoutant sa supplique, puis nous incite à nous garder du levain (l'enflure, l'orgueil) d'Hérode et des pharisiens … est-ce qu'il ignore la souffrance du peuple asservi, ou la détourne, ou lui donne un sens ?

04 avril 2007

À propos de quelques miches de pain

L'insistance sur la multiplication des pains peut nous pousser à chercher des références… ailleurs. On pense aisément au «Notre Père», mais souvenons-nous que cette prière ne figure pas dans l'Évangile de Marc, et sinon la Cène (14:22). Puis viennent des souvenirs du Premier testament : la manne (Exode chap. 16), l'institution de la Pâque (Pessah) (Exode 12:15-20), et l'action du prophète Élie (I Rois 17).
Êtes-vous fixés sur votre rapport au pain-aliment et au pain-symbole ? Si ce n'est pas le cas, voici encore une source d'inspiration tirée des Très Riches heures du Duc de Berry.



01 avril 2007

Un sacré pique-nique !

Voici l'interprétation de la scène de la multiplication des pains et des poissons par le peintre flamand Lambert Lombard (1506-1565). Comme le tableau est grand, vous aurez à cliquer dessus pour le voir en entier. Certains détails sont savoureux (les poissons l'étaient-ils ? cuits ou crus ?) …

Ce qui me frappe en premier lieu, c'est qu'un autre miracle semble se produire … c'est la multiplication des corbeilles !
Maintenant, voyons de plus près Jésus face à ses disciples, un peu isolés par rapport à la foule qui déguste le repas improvisé. Vous ne pouvez pas manquer leurs regards scrutateurs, mais quant à « voir » le miracle en direct c'est trop demander. À votre foi de faire le reste !



Déflation (p & p)

Qu'on en juge : d'un chapitre à l'autre ça change un peu …

Passage
Marc 6:30-44
Marc 8:1-10
Matière première
5 p. + 2 p.
7 p. + x p.
Bénéfice partagé
12 c.
7 c.
Consommateurs
5000 p.
4000 p.
Reste dans la barque
?
1 p.

Qu'en pensez-vous ?

28 mars 2007

Les disciples n'ont pas les mains vides !

Préparer un voyage, prévoir ses bagages, quel casse-tête ! Les disciples n'ont pas ce souci. Et on pourrait presque croire qu'ils y vont les mains vides. Pour la plupart des humains, c'est un peu déconcertant, voire insécurisant.

Mais cela vaut la peine de revoir le déroulé de leur voyage d'un peu plus près. Le groupe du Médoc a bien constaté ce vide apparent, mais également noté les moyens mis en œuvre :
Il y a un appel, comme une commande de passée. Les disciples partent sur un projet précis. ... et Jésus leur donne autorité ...

L'autorité ne pèse pas lourd, serait-on tenté de dire. Mais si : elle a du poids. Elle rend les disciples aptes à leur mandat.

Là où Jésus leur enlève des objets des mains, il les a auparavant muni de ce qu'il faut pour ce voyage : mission précise et autorité sur les esprits impurs.

Jésus donne de l'autorité, pas des pouvoirs




ou encore : avec Jésus, nous ne sommes pas dans un conte de fée.

Avec la propagation des jeux internet, nous sommes habitués d'entendre parler de pouvoirs. On les acquiert, on les perd, on les gagne. Ils s'échangent.

Dans notre groupe de partage, l'idée était d'abord assez répandue que les disciples auraient reçu des pouvoirs, au début du sixième chapitre de Marc. Mais, chose bizarre : À peine reçus … ils les auraient perdus, on ne sait pas comment. Les disciples eux-mêmes continuent d'avoir faim ; ils sont dépassés par l'afflux des foules affamées; ramer contre les vents les épuise. Nous avons vite vu que notre première piste de travail ne tenait pas debout. Les pouvoirs, exit !

Alors, deuxième tour de lecture en finesse :

Nous constations un ordre des évènements où l'appel de Jésus est premier. Ensuite, il donne « autorité ». Nous ne savons pas encore bien ce que c'est. Mais visiblement, l'autorité intervient dans la relation avec quelqu'un. Jésus leur donne autorité sur les esprits impurs. C'est cette relation qu'il installe. Mais face aux questions du monde, les disciples restent bien des disciples, ceux qui ont besoin d'être enseignés. Dans leur bagage de voyage, nous ne trouvons pas de baguette magique.

Je viens de trouver une explication du mot. Je la trouve éclairante. Michel Bertrand dit dans « Évangile et liberté » n° 208

« Autorité vient d'un verbe latine (augere) qui signifie augmenter, faire croître. L'autorité est donc ce qui fait grandir, ce qui amène un 'plus être' ou un 'mieux être'. Elle est ce qui permet à une personne ou à un groupe de devenir toujours plus l'auteur de sa propre vie. ... Ainsi, la véritable autorité est celle qui crée quelque chose de nouveau dans le monde. Initiatrice, innovante, créatrice, l'autorité donne la force des commencements. »

Loin des pouvoirs que l'on peut perdre, les disciples ont reçu un don, celui de l'autorité de chasser les esprits qui divisent.

AK

18 mars 2007

Une invitation

Chers amis,

Le dimanche 25 mars nous ferons un point sur l'activité des « groupes Nicodème », pas à mi-parcours mais plutôt aux deux-tiers … quoique … nous soyons juste parvenus à une charnière importante dans la lecture de l'Évangile de Marc, c'est-à-dire au point où l'épisode galiléen s'achève.

Nous commencerons par un repas partagé – que chacune, chacun apporte un plat, ou une salade, ou un dessert, ou une boisson et nous aurons tout ce qu'il nous faut ! On pourra commencer par confronter nos expériences de groupe, nos découvertes les plus marquantes, et continuer avec quelques projets et peut-être un peu d'approfondissement théologique (et revoir des amis ce qui n'est pas à négliger).

Deux surprises vous attendent, l'une au début du repas l'autre juste après le café ; elles nous aideront dans cette démarche d'appropriation du texte biblique mais chut !

Retrouvons-nous donc dimanche prochain au temple de Mérignac au culte (10h30) ou juste après le culte (12h).

04 mars 2007

Puissance ou non-puissance ?


Le chapitre 6 de l'Évangile de Marc nous met aussi aux prises avec deux épisodes étonnants, que tout apparemment oppose : d'une part les miracles qui ne s'accomplissent pas (Marc 6:3-6) et d'autre part Jésus qui marche sur l'eau (Marc 6:48-52). Surprenant ! Il est alors temps de noter que Marc se distingue des autres Évangélistes par le mot qu'il utilise pour traduire ce que nous appelons « miracle ». Tandis que Luc, Matthieu et Jean utilisent σεμειον (semeion qui veut dire "signe"), Marc utilise δυναμισ (dynamis qui a donné "dynamique" et veut dire "force"). Et de miracle il n'est pas question pour la bonne raison que miracle est d'origine latine (miraculum = chose ou phénomène extraordinaire, prodige).

Comment comprenez-vous cette opposition ou tension, entre force et faiblesse, entre signe et incompréhension, entre pouvoir et non-pouvoir ?

Notez bien, au passage, que la question du pouvoir sur les gens et sur les choses se présente encore dans deux autres passages-clés du chapitre 6 : la multiplication des pains et des poissons d'une part, et la mise à mort de Jean-Baptiste d'autre part.

À suivre !

01 mars 2007

À propos d'Hérode : la signature de l'évangéliste

Il est habituel de considérer les trois Évangiles dits «synoptiques» (Matthieu, Marc et Luc) comme trois expressions différentes d'une même histoire dont la «vérité» se dissimulerait dans les coïncidences entre deux, voire trois de ces écrits, les discordances étant attribuées à la différence d'audience, chacun des évangélistes s'adressant à un public un peu différent. Ce point de vue schématique est en partie vrai mais tend à faire disparaitre la personnalité de l'évangéliste à l'arrière-plan ; en somme, l'auteur dissimulé derrière son œuvre.


Dans le chapitre 6 de Marc nous trouvons cette étonnante histoire de la mort (également dite «décollation») de Jean-Baptiste, que nous pouvons confronter avec les versions de Matthieu et Luc. On sent bien, d'après les diverses interprétations de cette scène que les peintres en ont données, que le récit se met à « bifurquer » en ce point. Le tableau de Gozzoli (peint en 1461) que vous voyez ci-dessus suit de près le récit de Matthieu 14:6-8, où Hérode est dépeint comme un tétrarque cruel pour lequel un serment, même imprudent, a une valeur supérieure à la vie humaine. Ce récit (lisez-le !) établit une nette connexion entre les disciples de Jean et ceux de Jésus.

Rien à voir avec ce que nous montre le Caravage dans ce tableau peint en 1608 et qui nous fait entrer dans la prison où le Baptiste est enchainé (Marc 6:17 et 28). Les deux témoins silencieux permettent de représenter les disciples de Jean sur lesquels Marc laisse planer l'ambiguïté (lire Marc 6:14-16). Aucune théâtralité ici, le récit se suffit à lui-même.
Les récits de Marc et de Luc laissent donc le lecteur dans le doute, le rôle de Jean-Baptiste étant plus une question qu'une affirmation ; c'est sans doute pourquoi les siècles se sont chargés de développer l'imaginaire sur ce récit, en s'appuyant sur d'autres sources historiques. La danse de la fille d'Hérodiade (Salomé d'après l'historien Flavius Josèphe) devient alors un prétexte à la figuration du festin monstrueux par Rubens, ci-dessous.

En fin de compte, c'est notre regard sur la scène qui fait la différence. Comme le petit garçon que Rubens met au premier plan, nous lisons, cherchons à comprendre mais une part nous échappe : que nous apprend cet épisode sur la mission de Jésus ? Pas grand chose, assurément. Peut-être apprenons-nous que, pour Marc, la mission de Jean-Baptiste s'achève plus ou moins sur un échec, au moment même où celle de Jésus prend de l'ampleur.
Ce qui est certain, en revanche, c'est que nous apprenons ici que Matthieu, Marc et Luc ne sont pas interchangeables : pour l'un Hérode est un fourbe, pour l'autre un indécis et pour le troisième un sage doublé d'un faible. Chaque évangéliste a pris soin de « signer » ainsi son texte, afin que nous le recevions comme tel, à la fois historiquement fondé et déjà interprété.


13 février 2007

Le démoniaque et la prison

Bonsoir !
Voici ce qu'écrivait mon père il y a quelques années.
Les évangélistes Marc et Luc nous racontent que Jésus demanda son nom à l’esprit impur, c’est-à-dire qu’au lieu de s’adresser à ce « démoniaque » comme à un fou dangereux, il l’interroge comme une victime d’une maladie qui le submerge. Nommer cette folie, c’est la diagnostiquer et ouvrir la voie de la guérison avec l’aide du malade. C’est l’expérience que vivent très souvent les aumôniers et les visiteurs de prison. Pour beaucoup de ceux qu’ils rencontrent derrière les barreaux, c’est la première fois de leur vie que quelqu’un s’adresse à eux personnellement et de façon désintéressée.

Bien souvent, ils n’ont pas connu leur père ; ils ont été élevés dans des centres d’éducation surveillée, loin de toute famille et de ses sources d’affection ; déjà avant la prison, ils ont été considérés comme des numéros, puis comme des indésirables, et enfin comme des individus dangereux. En réponse à toutes ces exclusions, leur révolte gronde et leur comportement les fait de plus en plus ressembler au portrait que nos media en font.
Pourtant quelques uns, parfois même les plus isolés, arrivent à s’en sortir. Armés de leur courage, de leur intelligence, armés parfois de l’Évangile qu’ils ont découvert ou redécouvert en prison, ils arrivent à surmonter les innombrables obstacles dressés sur la voie de leur insertion sociale. Alors, quelquefois, ils parlent et ce qu’ils disent est fort dérangeant pour nous qui nous sentions bien à l’abri et acceptions bien volontiers de les savoir en prison : ces jeunes hommes témoignent de l’injustice qu’ils ont subie dès leur naissance, de la cruauté de la réponse de la société à leur égard. Ils crient leur haine de ceux qui ne les ont pas accueillis avec l’affection qu’ils attendaient.

Mais , voyez-vous, le démoniaque gadarénien lui aussi, a été très dérangeant par sa guérison ! Tout un troupeau de porcs précipité dans la mer ! Les gardiens de ce troupeau, affolés, se sont dépêchés d’aller se disculper devant leurs propriétaires ; ils ont sans doute bien réussi puisque ceux-ci, sortis furieux de leur village, ont fait retomber leur colère sur Jésus et sur ses disciples.
Qui se souciait d’un pauvre diable exclu du village et réduit à coucher nu dans un tombeau ? Les gadaréniens ne s’en inquiétaient guère ; mais perdre tout un troupeau de porcs, c’était inadmissible et le coupable devait être jugé, châtié et chassé. Un troupeau de porcs noyé ou un troupeau de voitures incendiées, n’est-ce pas la même violence, qui n’arrive pas à s’exprimer par des paroles ?

Voilà la justice des hommes : l’indifférence générale pour des malheureux sans vêtement et sans toit ; mais l’indignation, le jugement et la condamnation quand des richesses sont perdues.
Est-ce différent aujourd’hui ? Qui se soucie des 60.000 détenus dans les prisons françaises, des 90.000 personnes qui y passent chaque année ? Les assureurs et les marchands de serrures électroniques font de bonnes affaires ; mais il n’y a pas assez de crédits pour la prévention et pour la réinsertion sociale. Pourtant, l’unanimité s’est faite sur l’effet nocif de la prison, surtout lorsqu’il s’agit de maisons d’arrêt surpeuplées. Tous le confirment, jusqu’à un ministre de la justice qui a dit : « Nous fabriquons de la délinquance par un recours systématique à la prison. » Mais qui s’en soucie ? Les juges continuent à condamner de jeunes voleurs à des mois et des années de prison, alors qu’ils pourraient recourir plus fréquemment à des sanctions hors prison. L’opinion publique se recroqueville dans la peur, ravivée trop souvent par des faits divers, montés en épingle par une certaine presse.

Aujourd’hui, on ne s’inquiète plus pour des porcs, mais si un troupeau de voitures est brûlé par des jeunes devant lesquels toutes les portes ont été fermées, on nous affirme que c’est intolérable ; il faut, nous dit-on, d’une part protéger, cadenasser ces biens précieux et d’autre part, enfermer dans des cimetières, non pardon, dans des prisons ceux qui sont tenus pour dangereux.
On nous dit que la sécurité est menacée. Mais n’est-elle pas davantage mise en péril par la récidive des prisonniers libérés sans préparation et sans ressources après quelques mois ou quelques années de prison, plutôt que par les vols de délinquants primaires dans les parkings ou les supermarchés ? Il est bien connu, en effet, que les actes de délinquance sont plus graves, en moyenne, en récidive qu’avant le premier séjour en prison.

Si ces enfants perdus, égarés parce que privés d’affection, deviennent en prison des démoniaques, combien plus dangereux à leur sortie, alors, occupons-nous d’eux avant !

De Jonas à Jésus

Cette enluminure du XIème siècle nous accompagnera dans une réflexion sur le parallèle et l'opposition entre Jonas et Jésus, l'un et l'autre aux prises avec les flots et les forces adverses.
En effet, l'un et l'autre se trouvent à un moment de leur histoire au fond d'un bateau confronté à la mer démontée, et des marins complètement dépassés. Lorsque Jonas renonce à la vie même pour sauver la vie des marins, Jésus s'oppose frontalement afin que la vie triomphe. Le détour par Jonas offre l'intérêt de nous fournir une clé de lecture possible de l'ensemble du chapitre 5.
En fuyant l'ordre qu'il avait reçu, Jonas s'éloigne le plus possible du souffle de Dieu, lequel le rattrape sur la mer. Ce « souffle» (« rouah » en hébreu) est évidemment ce qui fait défaut au possédé pour vivre vraiment, tout embarrassé qu'il est avec un souffle pervers qui le pousse à la violence.
Un peu plus tard, Jonas se retrouve au fond de l'eau dans le ventre du poisson-tombeau et il voit arriver la fin de son existence physique (« nefesh » en hébreu); et c'est à ce moment qu'il prie et que Dieu le sauve. C'est aussi ce qui arrive à la fille de Iaïros (bien qu'on ne sache pas qui prie qui dans cette histoire).
À la fin, Jonas s'est réfugié, isolé, sous un ricin (« qiqayon ») et il se dessèche, préférant encore renoncer, se déposséder de la vie (« haï» en hébreu) …
Cependant, même si les allusions sont nombreuses les issues sont ici différentes. Face à la perte de la vitalité, de l'esprit, du rôle social de ces trois êtres amoindris Jésus rétablit l'unité de l'être, restaure des êtres capables de relation au contraire de Jonas coincé dans ses certitudes.

La lecture de Nicolas sur le chapitre 5

Notons l’idée de construction formelle en chiasme, dissymétrie, ou symétrie inattendue. Trois histoires, trois récits, trois guérisons. Sur le fond, ce Chapitre V est difficile à lire et à entendre. Nous sommes en face d’un déluge de miracles, et d’irrationnel. Une analyse exégétique primaire, sans doute fruste, donne la priorité à l’analyse de la mécanique du miracle, et ce faisant, heurte nos esprits baignés de science et de scepticisme. L’un des grands apports de la libération philosophique de la pensée, c’est de ne pas donner foi à des choses improbables, c’est chercher la preuve irréfutable de toute chose, ne pas se comporter en « béni oui-oui » acceptant sans critique tout ce qui est relaté. Nous avons tous été éduqués, à l’école, dans la promotion d’une approche intellectuelle raisonnée. En faisant la part belle à l’improbable, Marc est exigeant avec le lecteur.

Croire

Marc admet qu’on ne puisse pas croire. D’ailleurs, dans le temps de l’attente messianique, ne pas croire est bien la norme. Ce sont les fous qui croient. C’est le possédé qui reconnaît immédiatement Jésus. Les autres ont du mal à croire. Or, ce sont ceux qui croient qui rencontrent Jésus, ceux qui acceptent sa parole. Dans le récit de l’hémoroïsse, c’est très clair : Jésus fend la foule, est touché, frôlé de toutes parts, mais c’est elle seule qui a eu la force de croire, et qui grâce à cela rencontre la force de Jésus. Elle se cachait, elle avait peur, et la voilà pleine d’une force libératrice.

Rencontre

L’important dans ces trois guérisons ne me semble pas ressortir de la mécanique du miracle, mais de la rencontre entre Jésus et ceux qu’il guérit. Il y a une rencontre avec la personne de Jésus, son être, sa parole, sa nouveauté. L’accent n’est pas mis sur « qu’est-ce qu’il est ? » mais sur « qui est-il ? ». C’est dans la continuité de Marc IV, 41 : « Qui est-il donc celui-là ? ». On peut entrer dans l’analyse de la mécanique du miracle, mais ce n’est pas là le message premier.

Miracles… de la parole et de la foi

Dans l’histoire du possédé et celle de la petite fille du chef de la synagogue (qui sont a priori ceux qui ont le moins vocation à admettre qui est Jésus), le miracle est celui de la parole libératrice. Jésus guérit en parlant, « Jésus lui disait : sors de cet homme » (cas n°1), et « je te le dis, lève-toi » (cas n°2).

Dans l’histoire de l’hémoroïsse, la mécanique est moins claire. Il y a là l’immixtion d’une force qui n’est plus seulement celle de la parole, ou spirituelle, mais physique, corporelle. Marc parle d’une force qui semble physiquement sortie de Jésus après que la femme ait touché ses vêtements. Mais Jésus précise bien à la fin que ce n’est pas la décharge d’énergie qui a guéri, mais la foi seule : « ta foi t’a sauvée, va en paix ». Voir également Matthieu IX, 20 qui élude le transfert d’énergie pour ne retenir que la parole : « confiance, ta foi t’a sauvée ».
Pour la petite fille, il y a aussi un toucher, l’apposition des mains. Mais comme nous l’avons dit, et en parallèle avec l’histoire du lépreux, il s’agit là de considérer que Jésus brise les préjugés, les jugements, la mort, pour montrer la vie. Ce n’est pas un pouvoir thaumaturge, c’est une autorité de parole. Le toucher montre la voie du salut, et la parole guérit.

Légion

Quelle est la nature de l’impureté de l’esprit du possédé ? Il semblerait que ce soit une maladie psychologique fondée sur l’idée de multiplication. Le possédé n’est plus un, mais multiple et dispersé. Et lorsque la parole de Jésus fait sortir la possession, il faut deux mille porcs pour accueillir l’esprit impur qui sort.

Ce récit peut faire penser à la philosophie du grec Empédocle (V°siècle avant J.C) qui a théorisé sur l’idée de l'existence de forces d’amour qui rassemblent, et de forces de haine qui divisent. Il tire la conclusion que l’homme éprouve les forces de rassemblement et les forces de dispersion, dans un grand combat pour le rassemblement.
Toujours est-il qu’avec Jésus, la parole est la clé. Et sur la nature du mal, voir Marc VII, 14 : ce n’est pas quelque chose d’extérieur à l’homme qui, s’emparant de lui, le rend impur, c’est ce qui sort de lui. Et ce qui sort de lui, Jésus le guérit par la parole.
Alors, tendons nos oreilles pour entendre… et ne jugeons pas !

10 février 2007

Du sang et des filiations renouvelées

La lecture de Françoise Dolto
Françoise Dolto échange avec Gérard Séverin
F. D. ... ces deux récits sont associés dans la trame évangélique, c'est qu'ils sont liés par un enchainement inconscient organique et spirituel. En effet, c'est une même histoire : il y a une femme au destin féminin arrêté, il y a un homme au destin paternel faussé.
G. S. Une femme est atteinte dans sa féminité depuis douze ans, pendant qu'une fillette de douze ans, avant même que d'être femme, voit son destin arrêté.
F. D. Cette femme est exclue depuis douze ans de la lice des femmes sexuellement désirantes et désirables. Une fillette meurt au lieu d'y entrer à l'âge venu de sa nubilité. ... ce père apparait comme fixé inconsciemment ... à « sa » fille ... Il la maintient « petite », dans sa sphère à lui, il la veut, sans le savoir, dépendante de son amour possessif paternel. Jaïre ne fait pas mention de sa femme, la mère de l'enfant. C'est tout de même étonnant, non ? ...
G. S. C'était peut-être la coutume à cette époque de ne pas s'occuper de la femme.
F. D. Mais alors, pourquoi s'occupe-t-il de sa fille ? Non, il se pose comme le seul éprouvé : « Ma petite fille » dit-il ...
G. S. Vous croyez donc que ce père « possède » sa petite fille ?
F. D. Oui, mais entendons-nous sur le sens du mot « possède ». ... Son père demande de ne pas la perdre car elle est son sang et, plus encore, elle est sa vie. ...
G. S. Pourquoi exclure la foule et tout ce monde qui pleurait et se lamentait ?
F. D. ... Jésus supprime tout le pathos, tout le mélodrame des lamentations, ... tous les usages qui avaient enfermé la petite, objet et non sujet, depuis douze ans dans le sommeil du cœur. ... Les parents n'ont à satisfaire que les besoins de cette enfants et non ses désirs. Cette enfant est morte, elle a perdu l'appétit de vivre ... En mourant, elle n'avait qu'un père, elle découvre un couple heureux. ...
In : L'évangile au risque de la psychanalyse, Tome I (Éditions du Seuil) pages 99 à 116

Message de service

De temps en temps, des textes plus complets sont produits, à partir des contributions de ce blog, des idées de l'un ou de l'autre, des feuilles préparées par notre pasteur. Vous trouverez ces textes ici :

http://www.erf-bordeaux.org/nicodeme

Actuellement y figurent (au format PDF nécessitant Acrobat Reader) le résumé du premier trimestre et un texte d'approfondissement sur la question de la « possession ».

D'autres vont suivre. Bonne lecture, et... à vos Bibles !

01 février 2007

Lève-toi et mange !

Maintenant, la fin du chapitre 5. C'est le célèbre « talitha koum » qui a tant agité bien des traducteurs et exégètes. Nous avons une jeune fille présumée morte, tout le monde s'agite autour d'elle sans grand effet, et soudain une parole de Jésus – hop ! la voici ressuscitée (relevée) ou simplement réveillée, puisque nous ne savons pas si elle était morte. Faisant contraste avec l'abondance de paroles de cette foule l'échange entre Jésus et la fille est absolument minimal : deux mots, pas de réponse. À quoi servent ces déluges de paroles, nos déluges de paroles (celui-ci compris) si aucun effet ne se profile derrière ? Même l'évangéliste rajoute des paroles, rajoutant sa traduction du « tali thakoum » lequel devient « το κορασιον σοι λεγω εγειραι » c'est-à-dire « à toi jeune fille je dis lève-toi ». Au sens propre, « tali thakoum » c'est « petite agnelle, debout ». Et rien de plus.

Post-Scriptum tardif.

Finalement, j'ai bien envie de vous rajouter quelques mots autour de ce « debout ». Il provient du verbe hébreu "qam" qui peut vouloir dire "se lever le matin" après le sommeil. Ici il est employé à une forme impérative : la résurrection c'est tout de suite !

31 janvier 2007

« Mon nom est multitude ... »

Le chapitre 5 de Marc commence fort. Très fort. Nous rencontrons une espèce de zombie, totalement fou, un monstre peut-être déchainé que Jésus aborde, écoute, et guérit. On peut comprendre ce passage de bien des manières, mais pour commencer arrêtons-nous juste sur la réponse de l'homme (ou de son hôte, selon que l'on retient ou rejette l'hypothèse de la possession).
Il dit « Mon nom est légion » – enfin c'est ce que nous trouvons dans la plupart des traductions. En réalité, c'est un jeu de mots en grec : « λεγων λεγεων ονομα», mot-à-mot « nom disant légion » ou encore « mon nom parlant beaucoup » ; à une voyelle près λεγων (disant) et λεγεων (légion) sont identiques (un défi intéressant serait de trouver quel jeu de mots en araméen pourrait correspondre à celui-ci, ça n'est pas à mon niveau). Toute la réplique est en fait une construction stylistique bien connue des Grecs, le chiasme qui consiste à répéter à peu près les mots de manière symétrique, ici :

... τι σοι ονομα και απεκριθη λεγων λεγεων ονομα μοι οτι ...
... quoi ton nom ? il répondit disant légion nom mon car ...

Par une telle construction l'évangéliste met en valeur les deux mots centraux, autrement dit l'abondance de parole. Bien entendu c'est d'une parole délirante qu'il s'agit ici, c'est même le symptôme de la maladie mentale qui est ici présentée. Face au délire verbal la contrainte (les chaines) ne sert à rien : inutile de le faire taire, il hurlera quand même !

Vous pouvez lire la suite de Marc 5 sous l'angle de la parole qui est en excès ou en défaut, c'est un bonne porte d'entrée (mais pas la seule).

21 janvier 2007

Les paraboles

LEUR FORME : Comme dans une Bande Dessinée, elles font la peinture d'un message ; c'est au lecteur de se positionner par rapport à ce qu'il voit. Sa liberté et sa responsabilité sont en jeu.

Dans la tradition du deuxième testament, elles ont souvent deux parties :
A : Une introduction qui induit le sens de notre lecture : « Le royaume des cieux est comme ... »,
« Avec la parole de Dieu, il en va comme avec ... » ...qui est suivi par un assez court récit B. On ne trouve pas toujours la partie A. Souvent, on peut la reconstituer ou imaginer.
B : Le point de départ de la scène est nommé (« un homme a deux fils ... », « Dix jeunes filles
prennent leurs lampes elles sortent pour aller à la rencontre du marié ... », « Un homme sème des graines dans son champ ... », « Une femme a dix pièces d'argent et elle en perd une ... ».
Ensuite une action ou une transformation interviennent : « Elle va allumer une lampe et balayer la maison. ». L'homme « il continue à dormir pendant la nuit et se lever chaque jour. Pendant ce temps, les graines poussent et grandissent, mais cet homme ne sait pas comment. » Parfois, ce qui est raconté est dans l'ordre des choses, parfois cela sort de ce que nous aurons attendu, c'est assez surprenant : Le roi a invité au repas des noces « mais les invités ne veulent pas venir. « ... Allez donc aux croisement des chemins et invitez au repas tous les gens que vous rencontrez, dit-il aux serviteurs.»
La scène finale souligne l'écart avec la situation du début : « Ainsi la salle de fête est pleine de monde ». « La graine pousse et elle devient la plus grande de toutes les plantes. Elle a des branches si grandes que les oiseaux peuvent faire leurs nids sous son ombre. »

Ce schéma peut trouver des aménagements divers ... mais il nous aide à garder le mouvement intérieur de la parabole en vue. Parfois, ce sont les péripéties du milieu qui sont nombreux ... comme dans la vie. Attention de ne pas se perdre en chemin. Parfois, on trouve encore une petite scène qui suit une « première » fin, mais qui veut mettre le lecteur au défi. Garder le mouvement central en vue est une rambarde pour suivre l'idée générale.

LEUR INTERPRÉTATION a « subi » de nombreux coups de projecteurs dans l'histoire. Les leçons que l'on peut parfois trouver à la suite des paraboles ne représentent qu'une lecture possible du sens du récit qui vient d'être raconté. Au lecteur de se faire son idée.

Que vise la parabole ? Aujourd'hui, c'est un regard globalisant qui a beaucoup marqué la lecture. On part du fait que Jésus veut induire un bouleversement dans la vie de ses disciples, de ses amis, des gens qui le suivent. Pour cela, on est amené à chercher la dynamique et le sens vers lesquels tend la parabole. Un exemple : Après bien de pertes, « une autre partie des graines tombe dans la bonne terre. Les plantes poussent, se développent et produisent des épis : les uns donnent 30 grains; d'autres 60, et d'autres 100 ! » La femme qui a perdu sa pièce d'argent « appelle ses amies et ses voisines et leur dit : 'Venez, réjouissez-vous avec moi ! Oui, j'ai retrouvé la pièce d'argent que j'avais perdue !' » Autant les passages qui mènent vers la fin de la parabole sont plus ou moins attendus (la sécheresse menace la semence, la légèreté fait dilapider l'héritage ... cela ne vous étonne pas, c'est dans l'ordre des choses), autant la pointe finale casse avec la logique de l'attendu et ouvre un nouvel horizon : une graine qui porte une épi avec 30 grains, c'est déjà extraordinaire, alors 60 ou 100 ?!! Un père qui fait la fête pour le fils festoyeur, ce n'est pas très pédagogique ... !

L'imaginaire de la parabole reste un passage nécessaire : un homme n'est pas un roi ; dix filles ne sont pas des moutons ; une perle n'est pas la faucille. Certes, l'imagerie peut nous paraître un peu lointaine, avec ses références agricoles et sociétales, mais malgré tout elle reste assez proche du vécu : père et fils, semer et récolter ... investir et perdre. Sans en faire une psychologie surchargée, elle permet un ancrage dans la vie de chacun.

Note du copiste : pour les mots en rouge voyez le billet suivant.

Qu'est-ce qu'une parabole ?

Si nous cherchons un peu d'étymologie, à la suite du billet précédent, nous avons le mot grec παραβολη qui signifie « à côté de la voie droite », c'est-à-dire en-dehors de la trajectoire de l'objet jeté (jeter comme une balle) ; c'est là l'origine du mot dans sa connotation géométrique que les Grecs utilisaient déjà dans ce double sens : une déviation de la trajectoire, et une forme de comparaison.

L'usage de la parabole consiste ainsi à faire dévier le récit vers un ailleurs. Au lieu de nous raconter linéairement la vie de Jésus, l'évangéliste tire son écrit vers une autre dimension, peut-être afin de nous faire percevoir que son propos n'est pas seulement historique ni apologétique. C'est à travers de la parabole que nous percevons que le récit n'est qu'un support pour entrer dans ce qu'il faut bien appeler la théologie.

Maintenant, si nous analysons le chapitre du point de vue de Jésus (et non plus du point de vue de l'évangéliste), nous découvrons la parabole fait dévier le cours normal des choses comme le Christ l'annonce au chapitre précédent : on attend un guérisseur, un Messie politique, un prophète ou un savant mais lui s'échappe de ces rôles prédéfinis pour aller franchement ... de travers. C'est bien ce qu'on lui reprochera par la suite.

Personnellement, je crois que chaque fois que nous tentons d'assigner au Christ un rôle trop particulier avec nos mots d'hommes il nous échappe pour nous revenir ailleurs. Si vous le pensez prophète et Homme avant d'être Fils, c'est la résurrection et le jugement qui vous échappe. Si vous le pensez toujours assis à la droite de Dieu, c'est son incarnation chez notre prochain qui vous échappe...

Un petit mot pour finir : l'hyperbole (υπερβολη) que j'ai évoquée à propos de la tempête est, quant à elle, une trajectoire qui va « au-dessus de la voie droite » — d'où son sens d'exagération pour mieux faire comprendre !

18 janvier 2007

Face au mal et à la souffrance, qu'y a-t-il à voir ?

Cherchant à illustrer le texte d'Angelika sur la possession (ci-dessous), je suis tombé dans l'embarras. On pourrait certes représenter la « possession » par des peintures d'exception comme le retable d'Issenheim ou plus simplement dans ce même blog. Néanmoins, ces figurations assez violentes ne recouvrent qu'une partie du problème et ne nous disent pas grand chose sur la « solution » que le Christ propose. De surcroît, ceux d'entre nous qui ne consentent pas volontiers à l'incarnation du mal en l'homme ne verront pas davantage dans ces œuvres une traduction acceptable de ce que nous raconte Marc 3 (et bientôt Marc 5). Regardons ailleurs, donc. Le chapitre 4 nous fait sortir des « maisons » pour aller « sur l'eau » (et même un peu dedans), préparant l'arrivée du chapitre 5 avec son zombie.


Le très « parabolique » chapitre 4 termine dans l'hyperbole ! C'est l'épisode de la tempête apaisée... que nous pouvons relire comme une parole opportune qui vient calmer le jeu quand les forces déchaînées de la nature (humaine ou pas) menacent de nous submerger. Ci-dessus le tableau que Rembrandt peignit sur ce thème (il est visible à Boston)... un peu excessif quand on pense au vrai lac de Tibériade, certes, mais tout est dans la métaphore n'est-ce pas ?

Métaphore que Turner reprend admirablement dans cette représentation d'un bateau sortant du port en pleine tourmente. Oui, face aux forces inhumaines on est vite dépassés…



De la possession ... ou quand nous sommes hors de nous

Aujourd'hui, nous avons des termes savants pour tenir les mauvais esprits à distance : « pulsion de mort » est un terme marqué par S. Freud. Il était psychiatre et a décrit par ces mots des actions (auto-)destructrices de l'humain.

Mais de nombreuses personnes, pas psychiatres pour un sou, vont parler des pulsions. Il y a la pulsion de manger des fraises lors d'une grossesse ; il y a des pulsions d'achat, surtout lors des soldes et des promotions, les actions pulsionnelles sont légion. Mais elles ne font pas peur. Elles sont compréhensibles, domptées par un langage savant.

Mais en profondeur : observer des personnes qui ont un comportement étrange qui les empêche de vivre en plénitude, cela peut inquiéter. Quand quelqu'un perd la maîtrise de soi, quand il se laisse submerger par des émotions ... Quand une personne est rongée par l'inquiétude, quand elle perd le nord ... ce sont des façons nombreuses pour dire la perte de soi. Et elles peuvent nous faire peur.

Parfois, c'est un moment de fatigue et d'épuisement qui crée ce moment de confusion. Mais parfois, cela perdure. Les proches vont dire : je ne le reconnais plus. Il est comme perdu ...

La possession par les esprits mauvais (dont les évangélistes parlent en toute simplicité) n'est pas loin. La structuration de la personne est mise en danger. Dans certaines maladies que nous nommons aujourd'hui psychotiques, cela est très perceptible. Nous ne savons plus quelle personne nous avons en face de nous. Est-ce possible de voir un être cher se détruire soi-même ? Est-ce imaginable de ne plus pouvoir communiquer avec un proche ?

Dans les récits bibliques, plusieurs traits reviennent :

  • Les esprits mauvais sont des réalités parlantes. Qui d'entre nous ne connaît pas des voix en nous qui disent : « Tu aurais mieux fait ... » ou « Tu n'arriveras jamais ... » ... voix que la psychologie va ranger du coté du « sur-moi ». C'est le défi du moi, de celui que sait dire « Je », de les laisser parler ce qu'il faut. Parfois, elles disent juste. Mais parfois, elles n'ont plus aucun lien avec la réalité. Elles écrasent la personne.

  • Peu importe si ces condamnations viennent de la prime enfance d'un individu, ou si relèvent de son caractère, ou si elles sont perçues comme une malédiction qui viendrait de l'extérieur. Nous observons leur effet destructeur sur la personne. Faire taire ces voix est difficile, parfois presqu'impossible. Avec la meilleure volonté. Être maître chez soi, de soi, ne relève pas toujours de la démarche individuelle. La complicité d'un autre, témoin de la vie, est nécessaire. Il faut affronter les esprits de face pour que le « Je » puisse émerger, même à l'essai, en tâtonnant.

  • Ce sont des êtres proches qui interviennent au profit de personnes « possédées ». Visiblement, Jésus est sensible à la compassion de l'entourage de personnes privées de leur dynamique de vie. Les restituer en tant que personnes autonomes, voire libres, est déterminant dans son action. Après la guérison, elles parlent pour elles-mêmes, existent en elles-mêmes.

  • Le danger représenté par les esprits est réel. Les esprits continuent à parler, là où une personne émerge d'un danger, d'une « possession ». Même chassées, les voix continuent à parler, à distance. Il y a une image que l'on attribue à Martin Luther « Tu ne peux pas empêcher les oiseaux de la tristesse de voleter autour de ta tête. Mais tu peux les empêcher d'y construire leurs nids. » Pour lui, cette liberté d'action vient du fait que Dieu nous a libérés.

Que l'individu a droit à la parole, pour avancer librement dans la vie, est une vision profondément chrétienne. « Donner sa vie à Jésus », comme disent parfois les évangéliques n'est point un projet de soumission muette sous la férule d'un autre. C'est une indication que Jésus défendra notre liberté contre toute voix destructrice. Nous pourrons résister. Nous ne serons pas soumis sous les plaisirs, désirs et pulsions. Nous avons le droit de vivre et aucune obligation de nous détruire, ni nous ni la terre. C'est une liberté de dire « Je » avec la complicité de Dieu. Il est garant de notre liberté.

La possession serait une image surannée ? Peut-être ! Mais une réalité qui nous incite à nous inscrire résolument dans la liberté indiquée par Jésus. Les esprits chassés laissent un vide ? ... à prendre par l'Esprit Saint.

AK

12 janvier 2007

Saison des semailles le soir (V. Hugo)

C’est le moment crépusculaire,
J’admire, assis sous un portail,
Ce reste de jour dont s’éclaire
La dernière heure du travail.

Dans les terres, de nuit baignées,
Je contemple, ému, les haillons
D’un vieillard qui jette à poignées
La moisson future aux sillons.

Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours.
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours.

Il marche dans la plaine immense
Va, vient, lance la graine au loin,
Rouvre sa main, et recommence
Et je médite, obscur témoin,

Pendant que, déployant ses voiles
L’ombre où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu’aux étoiles
Le geste auguste du semeur.